L’homme est couvert de boue de la tête au pied. Je le croise chaque année sur le ponton qui sépare la lagune de Missolonghi de la mer ionienne. On l’appelle Tequila comme la boisson mexicaine ou plutôt comme le fameux tube de la fin des années 50 sur lequel il aimait danser lorsqu’il était jeune. Tequila, de son vrai nom Dimitris Tsiamis est originaire du nord de la Grèce mais depuis plusieurs décennies il vient passer ses étés dans la lagune. « Cette boue est thérapeutique » me dit-il « je vis à Genève depuis très longtemps, je suis allé voir les meilleurs médecins en Europe pour mes douleurs lombaires mais c’est ici que j’ai trouvé mon bonheur ». A 78 ans, Tequila vient tous les matins plonger des les eaux boueuses et salées de Aghia Triada (Sainte-Trinité), il enduit son corps de matière noire argileuse, un concentré d’oligoéléments qui sèche au soleil. Ils sont des centaines par jour à déambuler sur les chemins rocailleux de la lagune, comme des spectres couverts de suie avec des airs de faux aborigènes. Derrière sa dégaine d’acteur latino-américain tout droit sorti d’un puits de pétrole, Tequila a vraiment tourné au cinéma dans un film avec Alain Delon « un petit rôle, j’étais jeune et beau… je ne me souviens pas du titre du film ». Tequila est un personnage incroyable. Avant midi, quand la boue aura bien séché, il replongera dans la mer, il s’habillera hâtivement, coiffera ses cheveux en arrière comme si l’avait un rendez-vous galant et il repartira en ville au volant de sa Jaguar immatriculée à Genève.
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